Cronos.
Cronos, chrono. Le temps. Lien avec 13/ASN évident. Cronos, Saturne, les saturnales, oui, j’ai lu. Mais Cronos et castration, ça, oups, je ne connaissais pas … allez, c’est parti !
Du temps qui passe.
Le résumé qui suit est librement adapté des quatre sources suivantes :
- Graves, Les mythes grecs, ed.Livre de Poche, p. 50 ss
- Normand, Dictionnaire des symboles universels, ed.Dervy, p. 180
- Le Grand atlas de la mythologie, ed.Atlas
- encyclopédie Universalis
Tout d’abord, penchons-nous sur la différence entre Cronos et Chronos, avec un petit cours d’orthographe : Cronos est une divinité grecque qui incarne le temps et Chronos est le Temps lui-même. Les deux notions ont fusionné en une seule au fil du … temps.
Au départ : le mythe.
D’après Hésiode, à l’origine, il n’y avait que le chaos, dans le sens de vide conceptuel. C’est alors que Gaïa, Mère Universelle, émergea de nulle part et donna naissance à Ouranos, le Ciel étoilé. Je suppose que vous établissez le parallèle entre cette cosmogonie grecque et l’égyptienne[1] …
Gaïa et Ouranos mirent au monde Cronos, le Temps. Mais Ouranos détestait ses enfants, les sept Titans, et les faisait enfermer au fur et à mesure de leur naissance au plus profond des Enfers, dans le Tartare. Rien à voir avec le steak. Lol.
Pour se venger, Terre-Mère persuada les Titans d’attaquer leur père et c’est ce qu’ils firent sous la conduite de Cronos, le plus jeune des sept, qu’elle arma d’une faucille. Ils surprirent Ouranos dans son sommeil, et ce fut avec la faucille en silex que l’impitoyable Cronos le châtra ; s’emparant des organes génitaux de la main gauche (qui a été depuis lors de mauvais augure), il les jeta , ainsi que la faucille, dans la mer, près du cap Drépanon.
[1] voir Le tarot symbolique,chapitre sur les liens entre tarot de mythologie égyptienne.
Mais des gouttes de sang s’écoulant de la blessure tombèrent sur la Terre-Mère et elle donna naissance aux Trois Erinyes, furies qui vengent les parricides et les parjures.
En résumé, au commencement régnaient la Terre (la matrice, les eaux) et le Ciel (l’espace) avant que ne s’installe le Temps. Le père, mutilé, une nouvelle génération de dieux s’installait.
Cronos épousa Rhéa (qui incarnait aussi la Terre, mais à un autre stade d’évolution) avec laquelle il eut une nombreuse progéniture. Cependant, pour conserver son trône et éviter toute contestation de son pouvoir, Cronos dévora ses enfants aussitôt nés. Ceci, parce que la Terre-Mère et aussi son père Ouranos mourant, avaient prédit que l’un de ses propres fils le détrônerait.
Les amateurs de psychogénéalogie sourient. Le schéma répétitif de fidélité au clan existe déjà dans la mythologie grecque ! Et tous ceux qui maîtrisent le mythe oedipien établissent le parallèle avec l’oracle de Delphes
Cronos dévore donc ses enfants afin que la prophétie ne se réalise pas (tout comme Laïos veut tuer Œdipe pour que celui-ci ne le tue pas !)
Du rôle de la mère.
Rhéa est furieuse et ne souhaite pas que son troisième enfant, Zeus, subisse le même sort.
Du coup, elle entoure le berceau d’or, et l’accroche dans un arbre, afin que Cronos ne puisse le trouver ni dans le ciel, ni sur terre, ni sur mer (tiens, encore un enfant exposé[1] ).
Ensuite, elle enveloppe de langes une grosse pierre qu’elle donne à Cronos sur le mont Thaumasion en Arcadie. Cronos l’avale, croyant que c’était le jeune Zeus.
Néanmoins, Cronos a des soupçons (sans doute le goût n’était-il pas aussi bon) et une guerre de plus dix ans s’en suit. Cronos poursuivant Zeus, ce dernier se métamorphosant tantôt en serpent, tantôt en ours, ou encore vivant parmi des bergers pour se cacher.[2]
Devenu adulte, il va rendre visite à sa mère Rhéa et conçoit avec elle un plan de vengeance. Rhéa l’aide de bon cœur dans son projet, lui procurant un breuvage émétique. Cronos ayant largement bu, vomit d’abord la grosse pierre, puis les frères et sœurs aînés de Zeus. Ce dernier en profite pour châtrer à son tour son père : on n’est pas à une paire de couilles près ! (oups, sorry).
Intronisé maître du ciel, Zeus inaugure une troisième génération de dieux. L’histoire continue. Héraklès n’est pas loin dans la généalogie, mais si je continue, on y passe encore des heures et vous allez scroller.
Et puis, c’est bien beau tout ça, mais quel est le lien avec 13/ASN ?
[1] voir Œdipe, le mythe : pas le complexe !, p.67 ss.
[2] Parallèle avec le mythe de Taliesin, pour qui s’intéresse à la quête arthurienne.
La question du sens.
Zeus et Cronos manient la faucille avec dextérité et se font une solide collection de testicules. Lol.
Entre les dieux ithyphalliques et les dieux émasculés, les organes génitaux masculins font souvent l’objet d’une attention toute particulière dans la mythologie. A prendre au niveau 2, bien sûr, même si les croustillants détails fournis par la littérature ont de quoi éveiller le fantasme. Tout ceci étant à replacer dans le contexte de l’époque, où tout ce qui touchait au sexe était bien moins pudibond que de nos jours.
L’organe sexuel masculin sert à donner la Vie, à prodiguer la divine semence.
La castration l’en empêche.
Mais l’acte de castrer son père permet aussi de prendre sa vie en mains. Acte d’individuation.
Ambivalence. Comme toujours avec la symbolique.
Quelle que soit la piste choisie, nous voilà face à un 13/ASN bien lourd ! Entre la mort et/ou privation d’une partie de son corps, et la genèse de sa liberté … il y a une douleur physique par laquelle il faut passer.
« Prendre la place du père qu’il faut tuer (..) les enfants sont destinés à prendre la place des parents », nous dit C.Morel.
Œdipe nous rejoint à nouveau. Puisse l’illustration de la sixième colonne vous procurer la migraine nécessaire à la compréhension de l’immense entonnoir que je viens d’employer pour vous proposer une des clés de cette importantissime passage dans notre parcours vertical du mandala.
« Le mythe de Cronos est le symbole du Temps qui dévore ses enfants (racine chrono de chronomètre, chronologie). Il développe la thématique de la castration : Zeus est contraint de prendre la place du père, qu’il faut « tuer » – allégorie de la castration – et resitue ainsi l’ordre fondamental des choses, l’inéluctable cycle de la vie, le vieillissement que rien ne peut entraver : les enfants sont destinés à prendre la place de leurs parents. »[1]
[1] C.Morel, dictionnaire des symboles mythes et croyances, ed. Archipel, p. 296
Sens et rituel.
« (depuis les Hittites), la castration était pratiquée par l’individu lui-même qui se châtrait pour complaire à la déesse toute-puissante ou pour tenter de se rendre semblable à elle, la castration faisait partie des rituels chez les prêtres qui célébraient le culte à la Déesse-Mère. (…)
La castration en tant que punition infligée par des hommes à d’autres hommes pour des raisons religieuses ou pour obéir à la loi est une institution qui fit assez tardivement son apparition.(…)
Au Moyen-Age, elle était appliquée en vertu à la loi du talion, mais sans connotation sexuelle particulière. (…)
Dans les combats et les batailles, la castration était le prix exigé par le vainqueur de l’ennemi vaincu. En Egypte, elle était appliquée dans la pratique religieuse et militaire, témoin de l’éternel combat entre Horus et Seth. »[1]
[1] B.Bettelheim, les blessures symboliques, ed. Gallimard, p.108 ss.
J’aime assez l’idée de voir que le passage par 13,5 transforme l’homme. Castré, il n’est plus vraiment homme, mais pas vraiment femme. 14/Tempérance est le seul arcane du tarot sans déterminant dans son cartouche.
Par ailleurs, 21/Monde présente l’être androgyne. Finalité du tarot. Pistes. Faut-il pour autant, au 21ème siècle, messieurs, que vous fassiez don de vos testicules ? Sourire coincé.
Castration.
Je cite ici P.Kaufmann, professeur honoraire de philosophie à l’université de Paris-X-Nanterre, citant lui-même Freud.
« La circoncision, dira-t-il encore dans le Moïse, est un substitut symbolique de la castration que le père primitif et omnipotent avait jadis infligée à son fils. »
Juste pour une allusion à Freud qui disserte longuement sur ce sujet. L’approche psychanalytique n’est pas mon propos. Je me limite donc à ceci.
Là où circoncision et castration se rejoignent, c’est dans les tribus dites primitives, où un des rites en lien avec la puberté comporte la circoncision. Ritualisée, et initiatique. Le parallèle avec Cronos et Zeus est de mise.
Cette réflexion de nous plonger dans un abîme sans fond : les tribus australiennes, africaines et sud-américaines qui pratiquent le rituel décrit dans l’encadré ci-dessous ont-ils lu la mythologie grecque ou égyptienne ? Voilà qui me laisse toujours songeur. Jung et les archétypes … ah, que oui-oui.
Rites encore pratiqués de nos jours. Et à tous ceux qui hurlent au barbarisme (et encore, je ne vous ai recopié qu’un tout petit passage du rituel), j’ai envie de rétorquer que nos sociétés occidentales, me semblent avoir perdu bien des rites d’initiation qui permettraient à notre jeunesse de retrouver des repères et donner du sens à l’existence. Mais ça, c’est un autre débat et ça n’engage que moi.
Circoncision.
13/ASN représenterait ainsi ce moment d’initiation, passage de la puberté à l’âge adulte où circoncision et castration donnent le sens symbolique de l’individuation. Dans la foulée, ne pourrait-on pas, dès lors, lire la première ligne du mandala comme étant l’enfance, la seconde comme l’adolescence et la troisième comme l’âge adulte ? Piste.
L’enchaînement 12-13-14 devient tout le rituel initiatique de passage. En 12/Pendu, l’isolement et l’enfermement dans la matière Terre. 13/ASN, le rite de passage en lui-même, et 14/Tempérance l’accès au nouveau monde. Qu’il soit religieux ou de l’âge adulte.
Trois conclusions :
- 13/ASN marque une douleur dans la chair.[1] (niveau 1)
- 13/ASN incarne le moment où l’on tue (symboliquement) ses parents pour devenir soi (niveau 2)
- 13/ASN représente un moment d’initiation. Au cœur de la sixième colonne du mandala. (niveau 3)
En séminaire de développement personnel, j’emploie souvent la technique du photolangage (voir Mémoires de tarologue), développée par l’analyse transactionnelle, mise à la sauce beckersienne. Sourire.
Pour clore cette longue page, je vous propose la photo de réflexion ci-à-côté. Dans la foulée de ce qui vient d’être dit et en reliance avec la mythologie : deux visions du travail à effectuer en 13/ASN ?
[1] voir Le tarot psychologique, p.140-146 et Le tarot divinatoire, p. 593
« La circoncision équivaut à la mort, et les opérateurs sont vêtus de peaux de lions et de léopards ; ils incarnent les divinités à forme animale qui ont accompli, pour la première fois, dans les temps mythiques, le meurtre initiatique. (…) Ils s’attaquent aux organes génitaux des novices, ce qui montre bien leur intention de les tuer. La circoncision symbolise la destruction des organes génitaux par l’animal Maître d’initiation. La circoncision s’exprime par le verbe « tuer ».Mais peu de temps après, les novices sont aussi revêtus de peaux de léopard ou de lion, c’est-à-dire qu’ils s’assimilent l’essence divine de l’animal initiatique, et par conséquent, ressuscitent en lui. »[1]
[1] M.Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes, ed. Folio, p.269