Passage pas sage.
« Les Saturnales à Rome[1], la fête des Fous dans l’Europe médiévale, le carnaval encore de nos jours là où il n’est pas dénaturé, marquent la fin du cycle annuel. Ces fêtes, où l’ordre et les règles normales de comportements cèdent la place à la folie, à l’orgie et au désordre, constituent une plongée dans l’irrationnel, source de régénération et riche de toutes les potentialités qui permettront à l’année nouvelle de naître et de conduire ses fruits à maturité.
Dans l’éclatement, la folie et le chaos qui se généralisent aujourd’hui dans le monde, ne faut-il pas voir, à l’échelle collective de l’histoire de l’humanité, l’équivalent de cette période qui marque le passage d’une époque à une autre, où tout s’inverse, angoissante mais nécessaire à l’émergence d’un monde rajeuni et d’un homme réconcilié avec lui-même ? »
[1] ce paragraphe qui suit s’inspire d’un article de JLBeaucarnot
Saturnales.
Cette fête se déroulait le 17 décembre. Elle était à la charge des Frères Arvales, au nombre de douze, que la tradition veut descendants de Acca Larentia, nourrice de Romulus.
Ils assuraient le cycle des rites agraires dont le but est la transmission de la fécondité végétale d’une année à l’autre, la sacralisation des prémisses de la future moisson et la mobilisation des forces qui devaient la protéger. Ces fêtes se déroulaient à la fin de « l’année vivante » (allant de mars à décembre), car ensuite janvier et février représentaient les deux « bouts » de l’année, moment de passage et de purification funéraire.
Au cours de la Fête des Saturnales, Saturne (13/ASN) présidait à des bombances de fin d’année, qui étaient de bon augure pour la suivante. On sait que des repas avaient lieu qui réunissaient maîtres et serviteurs et, qu’à cette occasion, les uns prenaient la place des autres pour représenter cette inversion de l’ordre du monde.
Les Saturnales sont une sorte de carnaval, plein de licence, qui se clôture le 24 février par le regifugium, lorsque l’on chasse l’année révolue, symbolisée par le « roi de la fête », dont les puissances de prospérité exigent le renouvellement.
Par cette acceptation volontaire de l’inversion de l’ordre du monde, les individus et la collectivité assument les forces chaotiques, les transformant de puissances destructrices en énergie régénératrice.
Tel est le sens des rites initiatiques, où seule l’incorporation de la mort peut assurer la renaissance du candidat à un nouvel état de conscience plus large.
Fête des Fous
Moyen-Age.
Dans les jours qui suivent Noël, parfois dès le lendemain, se déroule une curieuse fête, la « Fête des Fous », qui fait un tel scandale que certaines villes et certains évêques l’interdisent. La « Fête des Fous » est en effet la fête de l’inversion, du désordre, des sacrilèges et, ce jour-là, clergé en tête, de véritables orgies sont organisées dans les églises. Diacres, chantres, bedeaux et sacristains, bref tout le petit personnel clérical, participe de ces fêtes. Un peu comme à carnaval, on y célèbre la négation de l’ordre et l’inversion des rôles et des rites. En vêtements souillés et déchirés, certains disent des messes à rebours, lisent les Evangiles à l’envers et vocifèrent à tout moment des braiements d’âne et des paillardises. Dans certaines églises, on mange sur l’autel du boudin et des saucisses, tandis que dans les encensoirs, on brûle de vieilles chaussures.
On chante des chansons obscènes. Les hommes s’exhibent nus et s’arrosent de seaux d’eau. Peut-être faut-il voir là un vieil héritage païen des Saturnales romaines ?
On renverse tout !
Quoi qu’il en soit, cette Fête des Fous se termine souvent mal. Insultes et tapages conduisent certains au cachot, tandis que d’autres n’hésitent pas à s’en prendre aux croix ou aux objets du culte.
Encore en 1444, la Faculté de Théologie de Paris justifiait ainsi cette fête :
« Nos éminents ancêtres ont permis cette fête. Pourquoi devrait-elle nous être interdite ? Nous ne fêtons pas sérieusement, mais par pure plaisanterie, pour nous divertir selon la tradition, pour qu’au moins une fois par an nous nous abandonnions à la folie, qui est notre seconde nature et semble être innée en nous. Les tonneaux de vin éclateraient si l’on n’ouvrait pas de temps en temps la bonde pour les aérer. C’est pourquoi nous nous livrons à des bouffonneries pendant quelques jours, pour pouvoir ensuite nous consacrer au service de Dieu avec une ferveur d’autant plus grande« .
Dans l’idée d’un renversement de toutes les valeurs, cette fête était celle du bas-clergé qui ce jour-là avaient droit à la parole.
« Dans les cathédrales on nommait un évêque-bouffon. Celui-ci célébrait alors un office solennel et donnait la bénédiction.
Les prêtres déguisés pénétraient dans le chœur en dansant et en sautillant et chantaient des chansons grivoises. Les sous-diacres mangeaient des saucisses sur l’autel, sous le nez du prêtre officiant ; ils jouaient aux cartes et aux dés sous ses yeux ; au lieu d’encens, ils mettaient dans l’encensoir de vieilles semelles et des excréments, pour que l’odeur pestilentielle lui monte dans les narines. Après la messe, chacun dansait et courait dans l’église selon son bon plaisir et se livrait à la plus grande débauche. Certains allaient jusqu’à se déshabiller complètement. Ils s’asseyaient ensuite sur des chariots chargés d’excréments et se faisaient conduire à travers la ville, jetant des ordures sur la populace qui les accompagnait… A Antibes, les laïcs prenaient la place des prêtres dans le chœur et revêtaient des vêtements sacerdotaux déchirés et à l’envers ; ils tenaient également à l’envers les livres qu’ils faisaient semblant de lire… Ils ne chantaient pas de psaumes ni de chants liturgiques, mais marmonnaient des mots incompréhensibles et beuglaient comme des bêtes » (d’après K.F. Flögel, Geschichte des Grotesk-Komischen). L’âne jouait toujours un rôle très important dans ces fêtes, survivance probable des cultes magiques rendus aux animaux depuis la nuit des temps, symbole de la fertilité, de la force, de la bêtise).
Carnaval.
Les Fêtes de Carnaval, qui remontent également à une époque très ancienne, se situent plutôt à la fin de l’hiver et représentent également un débordement d’énergie avant la période du Carême.
L’irruption carnavalesque dans une société – ancienne ou actuelle -, dont elle se plaît à perturber l’ordre habituel, suggère à la fois une réflexion sur les pouvoirs dissolvants du plaisir festif, sur sa mise en œuvre et ses effets sociaux. De nos jours, le rôle régulateur des fêtes de folie a été oublié. Notre société ne sait plus vivre la fête dont elle fait d’immenses spectacles médiatisés, sans âme. Et nous nous trouvons devant ce paradoxe qui veut qu’au cœur de sociétés d’ordre, de légifération et de régulation sociale extrêmes, une violence incontrôlable émerge sous forme de délinquance, d’explosions sociales, de manifestations, de mécontentement sous toutes ses formes.
La force régulatrice des « Fêtes des Fous » qui, assimilée par la collectivité, devenait une source de régulation, comme la folie peut être inspiratrice au cœur de la raison, n’œuvre plus dans ce sens et le corps social vit dans une grande dichotomie sa folie et sa raison, ne sachant plus les relier de façon globale pour qu’elles se fécondent mutuellement. Le « sens dessus-dessous » est devenu le lot quotidien pour celui qui s’informe de l’état du monde, comme si les puissances du Chaos, répudiées, étaient revenues en force et submergeaient les consciences de notre temps. »
A ce stade, vous vous demandez sans doute pourquoi tout ceci, en lien avec 13/ASN.
Peut-être l’illustration vous livrera-t-elle quelque indice. Ne passez pas trop vite dessus. Prenez votre temps pour observer ce que j’ai voulu illustrer.
Les têtes couronnées peuvent valser lors des saturnales et de la fête des fous. Quant au carnaval, il a non seulement son roi, mais le bourgmestre/maïeur remet les clés de la ville au prince du carnaval.
Le petit devient grand et inversement. On coupe avec le rationnel et l’habituel. On tranche les têtes des puissants. Symboliquement. Lien avec les têtes couronnées, coupées, dans le bas de l’arcane-sans-nom.
Si je prolonge le raisonnement au travers de la sixième colonne du mandala, je peux retrouver la foule en 6/Amoureux et 20/Jugement. Certainement les danses en 6/Amoureux et la musique, le charivari en 20/Jugement.
Pimentant le tout par la présence de 12/Pendu juste avant 13/ASN… moment du renversement de l’équilibre des choses.
Et tant qu’on y est, posé sous cet angle, les moinillons soumis en 5/Pape ne deviennent-ils pas les évêques et autres prélats d’un jour, en 19/Soleil ?
Mmmouai, diront les rationalistes cartésiens parmi vous. Ok, ok, je n’impose rien. Je jette juste en pâture. Et pousse encore plus loin l’analogie en introduisant le mot : mascarade. Voir article du blog consacré au sujet.