Mythe d’Oedipe et tarot
Je suis convaincu que la compréhension du tarot passe par une compréhension de deux mythes fondateurs de l’humanité : Oedipe et Gilgamesh. Ils sont au centre du tarot. Ils en sont donc le coeur. Vital.
Prolégomènes
► L’histoire d’Oedipe, c’est l’histoire d’un mec en quête de soi.
Les séminaires en développement personnel ne se sont jamais aussi bien portés qu’en ce début de 21ème siècle.
► L’histoire d’Oedipe, c’est l’histoire d’un mec qui porte les tares de ses ancêtres. Sans le savoir.
Combien de techniques thérapeutiques actuelles ne commencent-elles pas par une prise de conscience du lien qu’il y a entre histoire personnelle et clanique ?
► L’histoire d’Oedipe, c’est l’histoire d’un mec pris dans la tourmente de la rumeur.
Rumeur qui n’a jamais été aussi forte et présente qu’à notre ère des réseaux sociaux.
► L’histoire d’Oedipe, c’est l’histoire d’un mec qui trouve un sens à sa vie, alors qu’il vient de tout perdre.
Combien de personnes n’entament-elles pas un travail thérapeutique juste après un « accident de la vie » ?
Qui a dit que le mythe d’Oedipe était de l’histoire ancienne ?
► La compréhension de ce mythe t’aidera, ami lecteur, à analyser plus lucidement le pourquoi-ici-maintenant de ce que tu vis, de qui tu es.
illustration : façade de l’hôtel de ville de Bruxelles … à livre ouvert.
Fonctions du mythe
Un mythe atrois fonctions :
► narrative (le mythe raconte)
► initiatique (le mythe révèle)
► étiologique (le mythe explique)
L’analogie avec le mandala du tarot de Marseille est évidente. Le tarot raconte l’histoire d’un mec, lui révèle qui il est et quel est le sens de sa vie, tout en lui expliquant le pourquoi du comment, il en est là, aujourd’hui. Le tarot ne sert pas à prédire l’avenir !
« Le mythe a avant tout une fonction d’enseignement et pour ainsi dire de fil conducteur, menant le Héros à son propre sacrifice ou à l’anéantissement de sa propre individualité, détruisant ainsi les relations illusoires du sujet et de l’objet pour accéder enfin, dans l’Identification Suprême, à l’état de « Sujet Total », au-delà de toute distinction. »
Sophocle
Sophocle est né à … Colone, au 5ème av. JC. Il est le fils d’un riche athénien, mène vie publique et politique tellement reconnue de tous, qu’il en est héroïsé à son décès. Ce n’est donc pas n’importe qui, notre Sophocle. Ce qui fera principalement son renom, ce sont ses talents
de tragédien. Auteur de pas moins de 123 tragédies (mais dont seulement 7 ont été retrouvées), il est un des auteurs les plus prolifiques de son temps.
Son succès est sans précédent par rapport à ses concurrents contemporains : Sophocle a été couronné à 24 reprises ! Un peu comme s’il avait reçu 24 fois le César du meilleur réalisateur…
Il faut savoir que les tragédiens grecs se livraient à des concours, un peu comme le Reine Elisabeth aujourd’hui. Chacun y présente son œuvre du moment et un double système de vote du public et de spécialistes couronne le lauréat. A ce petit jeu, Sophocle est à la fois la coqueluche du public et des critiques. Un petit bémol toutefois : la coutume de l’époque voulait que les auteurs soient également acteurs. Or, Sophocle a toujours refusé de jouer dans ses pièces. Pour une question de voix inadaptée / inadaptable a retenu l’Histoire.
► Côté jardin, Sophocle est l’époux d’une athénienne et amant d’une Sicyionnienne. Il aura plusieurs enfants, dont Iophon, son fils légitime, qui l’accusera de favoriser le bâtard, Sophocle-le-Jeune.
► Ces querelles intra-familiales auraient donné naissance au règlement de compte d’Oedipe envers Polynice dans Oedipe à Colone : projection de l’auteur sur son propre vécu, à un moment où Iophon voulait le faire placer sous tutelle, prétextant qu’il n’avait plus toute sa tête.
Comme quoi, réalité et fiction peuvent se rejoindre.
La thématique du parent placé par une progéniture ingrate n’est pas nouveauté de ce siècle, noté-je au passage.
Oedipe à Colone aurait-il quelque lien avec la fin de vie de Sophocle ? Certains auteurs le prétendent.
« Toi, tes yeux sont ouverts, et tu ne vois pas dans quelle horreur tu baignes, sous quel toit tu demeures, et avec qui. »
Oedipe, une vieille rengaine.
La première chose qu’il me semble bon de signaler, c’est qu’avant d’être l’acteur principal des deux pièces de Sophocle, Oedipe est connu depuis bien longtemps des Grecs. Son histoire est d’ailleurs déjà chantée dans l’Iliade, soit près de 300 ans (oui, oui, 300 !) avant que Sophocle ne s’empare du sujet. Ci-dessous, un extrait dans lequel Ulysse interroge les morts et voit défiler des héroïnes du passé …
« (…) Epicasté, mère d’Œdipe, qui commit un acte terrible par ignorance en se mariant à son fils. Celui-ci l’épousa après avoir tué son père, mais les dieux le révélèrent aux hommes.
Il régna ainsi sur les Cadméens dans l’aimable Thèbes, torturé par les intrigues funestes des dieux, tandis qu’elle descendait dans le palais aux portes étroites du puissant Hadès, après s’être pendue aux poutres du palais, vaincue par son chagrin. »
Reprise et sans cesse rejouée.
► Sophocle ne fait que reprendre une histoire connue de tous, qu’il remet au goût du jour, en ayant sa visée précise de ce à quoi il veut mener le spectateur : une réflexion sur le quotidien en Grèce, au 5ème siècle avant JC.
► Durant l’Antiquité, Oedipe connaît un franc succès et Appollodore, Hésiode, Ovide, Homère, Euripide, Eschyle, complètent, commentent, réécrivent le mythe.
Le mettent à leur sauce et au goût du jour. N’en déplaise au médiéviste convaincu que je suis, le Moyen-Age voit l’œuvre sombrer dans l’oubli.
Tout au plus, subsiste-t-il dans la tradition orale, le récit d’un jeune homme incestueux.
► Au 16ème siècle, on assiste à diverses réécritures de la pièce. Avec notamment, une redécouverte des cantates et du chœur.
Rôle important que cette pression d’une foule anonyme, accentuant le drame qui se joue et redonnant une place importante à la rumeur.
► En 1559, Corneille modernise le mythe. Il introduit le thème amoureux dans l’histoire des protagonistes, invente de nouveaux personnages et place quelques intrigues secondaires afin de rendre la pièce plus riche et aux couleurs de son temps.
► En 1718, Voltaire complique l’énigme et accentue la polémique antireligieuse. On n’en attendait pas moins de lui. Sourire entendu.
Au 20ème siècle, tel le phénix, Oedipe renaît de ses cendres et plusieurs auteurs revisitent le mythe. A tout seigneur tout honneur : Freud et la création de la théorie sur la sexualité infantile. Laquelle ne figure pas, comme beaucoup le pensent, dans son ouvrage premier et référence, die Traumdeutung, de 1899 (1900), mais bien dans une œuvre plus tardive, de 1905, Trois essais sur la sexualité.
► Cocteau réinvente la pièce … en latin. Gide fait d’Œdipe un provocateur. Et son texte inspirera encore de nos jours nombre de créateurs désireux de donner au héros un rôle plus (pro)actif qu’il ne l’est dans la version de Sophocle, où il faut bien l’avouer, il subit patiemment tous les coups du sort qui lui sont assenés.
Pasolini offre une vision iconoclaste du mythe, dans un film passé culte.
Enfin Jean Anouilh propose en 1978 une mise en scène avant-gardiste du mythe, donnant lui aussi un souffle nouveau à la tragédie.
► A ma connaissance, la dernière interprétation novatrice de la pièce date de 2007, via une troupe française.
