Récit du mythe d’Oedipe
Quand l’Hermite Bougon raconte le mythe d’Oedipe à son Disciple, cela donne à peu près ceci …
Maître, mon Maître, racontez-moi une belle histoire.
D’accord. Mais je ne vais pas me fouler. Je m’en vais te raconter la tienne, d’histoire.
La mienne ? Mais vous ne connaissez rien de moi ?
Chiche …
One upon a time…
Ainsi donc, il était une fois …
… librement adapté des pièces de Sophocle et Euridipe …
… un roi de Thèbes, qui s’appelait Cadmos.
De la prestigieuse lignée des Labdacides, fondateurs de la cité.
Cadmos n’a pas été gâté par les dieux. En effet, il claudique. Conséquence de deux jambes d’inégale longueur. Tout un programme, quand on sait l’importance qu’attachaient les Grecs à la pureté de l’impeccabilité du corps !
Pour toute une série de raisons qu’il serait trop long à expliquer ici, Cadmos ne cède pas son trône à son fils, mais bien à son petit-fils, Penthée, issu d’un deuxième mariage si je puis dire.
Ce dernier ne régnera pas bien longtemps.
En effet, curieux d’assister aux rites dionysiaques célébrés au mont Cithérion par sa mère, Agavé, et ses copines, il grimpe dans un arbre et ouvre grands ses yeux.
De ce qu’il ne fallait pas voir !
Et de se rincer l’œil comme il se doit devant ces femmes célébrant Dionysos en bonne et due forme. Je te laisse imaginer la scène …
Oui, seulement voilà, afin de mieux voir, il se penche tant et si bien qu’il en tombe de l’arbre.
Ivres et en transe, les femmes, Agavé en tête se ruent alors sur Penthée et le lacèrent tant et si bien de leurs ongles … qu’il en meurt !
Cadmos et Polydoros
Et de rapporter, triomphantes, leur victime sanguinolente… avant de s’apercevoir qu’une mère venait de tuer son fils !
Quant à la succession, ne reste plus à Cadmos qu’à se rabattre son fils, Polydoros.
Cadmos meurt quelque temps plus tard.
Polydoros, encore jeune enfant, hérite du royaume de Thèbes.
Ca commence bien, l’histoire familiale d’Œdipe, hein …
* Polydoros est donc en bas âge lorsque meurt son père et qu’il accède au trône. Polydoros aura un fils, Labdacos. Qu’il n’aura pas le temps de bien connaître. En effet Polydoros meurt, tandis que Labdacos n’est encore qu’un enfant. Labdacos, encore jeune enfant, hérite du royaume de Thèbes.
Ca continue bien, l’histoire familiale d’Œdipe, hein …
* Labdacos n’a pas été gâté par les dieux. En effet, il claudique. Conséquence de deux jambes torses. Il sera surnommé « le Boîteux ». Tout un programme, quand on sait l’importance qu’attachaient les Grecs à la pureté de l’impeccabilité du corps ! Labdacos aura un fils, Laïos. Qu’il n’aura pas le temps de bien connaître. En effet Labdacos meurt, tandis que Laïos n’est encore qu’un enfant. Laïos, encore jeune enfant, hérite du royaume de Thèbes.
Ca se poursuit toujours bien, l’histoire familiale d’Œdipe, hein … et commence à sentir la répétition, tu ne trouves pas ?
« L’intention de l’œuvre se confond avec l’intention de l’auteur. Sophocle ne nous a laissé, en dehors des tragédies elles-mêmes, aucune confidence sur ce qu’il voulait transmettre comme message dans ses pièces et nous ne disposons d’aucun document d’aucune sorte à ce sujet. »
Enfant exilé.
C’est ici que ça se corse un peu quand même.
Mais avant d’en venir aux choses plus croustillantes, il me faut reprendre le refrain désormais connu : Laïos n’a pas été gâté par les dieux. En effet, il claudique. Conséquence d’une difformité corporelle. Il sera surnommé « le Gauche ».
Tout un programme, quand on sait l’importance qu’attachaient les Grecs à la pureté de l’impeccabilité du corps !
Et d’en rajouter une couche en signalant qu’être déclaré « gauche » ne signifiait pas à l’époque qu’on votait rouge aux élections, mais bien qu’on se comportait à rebours. A savoir que tant la démarche que le caractère étaient pervertis, peu clairs.
Cela se corsait, disais-je, car la succession ne se passe pas si facilement que prévu.
Le trône était prévu pour Laïos. Mais ce n’est encore qu’un petit bout de chou.
La régence fut assumée par le frère de sa mère, Lycos.
Ce dernier ne profita guère du pouvoir, assassiné qu’il fut par Amphion et Zéthos, de lointains cousins avides du pouvoir.
Qui en profitèrent pour exiler l’enfant Laïos, afin que ce dernier ne soit pas un danger dans leur exercice de légitimation du pouvoir.
Laïos, enfant exilé, est envoyé chez Pélops, un souverain voisin.
Ce dernier s’occupe bien de Laïos, qui grandit en bonne et due forme.
Mais qui est ce Pélops ?
Oh, juste un monsieur qui s’est illustré au niveau judiciaire par un enlèvement.
« (…) le récit de Sophocle correspond à une introjection (travail d’assimilation ou d’intégration des héritages transgénérationnels – et du propre vécu de manière générale), un travail d’émancipation des aliénations familiales. »
Enfant abusé.
Tandis qu’il était hébergé par un de ses amis, Oenomaos, il conçut une passion amoureuse pour une des filles de son hôte, Hippodamie.
Qu’il crut bon d’enlever.
Je te passe pudiquement la suite que tu imagineras sans difficulté.
De son côté Oenomaos en appela à la justice divine, en maudissant Pélops et sa descendance.
Laïos n’est donc pas accueilli chez un saint.
Mais quel est exactement le caractère de Laïos ?
Oh, juste un monsieur qui s’est illustré au niveau judiciaire par un enlèvement. Tandis qu’il était hébergé chez Pélops, il conçut une passion amoureuse pour le fils de son hôte, Chrysippe.
Qu’il crut bon d’enlever.
Je te passe pudiquement la suite que tu imagineras sans difficulté.
En rajoutant tout de même que, choqué et honteux de ce qui lui arriva, Chrysippe se suicida.
De son côté Pélops en appela à la justice divine, en maudissant Laïos et sa descendance.
Laïos n’est donc pas un saint.
Mais pourquoi grands dieux, Laïos commit-il tel acte, contre-nature ?
Ben, peut-être parce qu’il était stérile ?
Ah, oui, c’est vrai. En plus d’être « gauche », il était stérile. Pas gâté par les dieux, vraiment ! N’empêche, son acte envers Chrysippe, totalement inadmissible, fera qu’il sera non
seulement sous la coupe de la malédiction de Pélops, mais aussi sous le courroux d’Héra en personne, laquelle s’étant penchée sur le « dossier » Laïos décida de le châtier à sa façon. Nous en reparlerons.
Laïos n’est donc pas un inconnu de la justice, mais ses faits resteront paradoxalement inconnus dans son pays d’origine. Interpol n’existait pas encore à l’époque.
Quelques années après tout ceci, Laïos s’en revint manu militari et avec force armée, (re)conquérir le trône thébain qui lui revenait de droit : Laïos, roi de Thèbes.
L’oracle.
Laïos s’est marié avec Jocaste.
Jusque là, rien de transcendant. Sauf si on prend conscience que Jocaste est l’arrière-petite-fille de Penthée. Penthée, tu te souviens, ce fils qui a voulu assister au rite dionysiaque en y observant sa mère, laquelle, découverte, se rua sur son fils pour le lacérer jusqu’à ce que mort s’en suive.
Jocaste se marie donc avec Laïos et devient reine de Thèbes.
Couple royal oblige, sa première préoccupation est de savoir comment assurer la succession au trône.
Et d’affronter la délicate problématique de la stérilité de Laïos.
Sans succès. Du coup, Laïos se résout à aller consulter l’oracle de Delphes.
Pourquoi stérile ?
Alors l’oracle de Delphes, c’est une sorte de voyante-médium-extra-lucide qui fait fureur à l’époque et connaît un succès dans le pays tout entier.
Oserais-je dire qu’il s’agit à la fois d’une tarologue et astrologue de renom … mais qui n’a rien compris à mes cours puisqu’elle prédit l’avenir. Sourire.
Voilà donc Laïos parti pour Delphes.
Lui, par contre, il a bien suivi les cours de Beckers et sait qu’il faut bien préparer sa question pour qu’une consultation porte ses fruits. En chemin, il rumine donc ce qu’il va demander à la voyante. « Comment, gente voyante, se fait-il que je sois stérile ? » est le fruit de ses cogitations.
Ainsi questionnée, l’oracle lui répond : « Toi pas engendrer. Si engendrer toi, fils tuer toi et amour faire à ta femme ».
Enfin, je suppose qu’elle a mieux verbalisé la chose, mais la substance est bien celle-là.
Profondément perturbé parce qu’il venait d’entendre, Laïos s’en retourne … la queue entre les jambes.
Ce qui est plutôt logique pour une personne affublée d’un problème d’érection. Humour idiot, excuse-moi.
S’en retourne perturbé et pour cause. Tout d’abord, l’oracle n’a pas répondu à sa question. Il veut savoir pourquoi il est stérile et elle lui répond que s’il a un enfant – ce qui ne saurait être, d’après lui, tout impuissant qu’il est – ce dernier le tuera et commettra l’inceste avec sa femme.
Ensuite, il s’interroge évidemment sur la suite qu’il doit donner à cette révélation.
L’oracle de Delphes, ce n’est pas rien. On vient la consulter avant de déclencher des guerres, entreprendre des chantiers nationaux ou des expéditions au bout du monde. Et on lui fait confiance. C’est que c’est une sommité en son genre, l’oracle de Delphes.
Laïos, dans le brouillard complet, en conclut qu’il vaut mieux ne rien à dire à personne. Pas même à Jocaste. Et de garder secret, le contenu de cette consultation.
« La pensée sociale propre à la cité du 5ème av JC, c’est celle des tensions et contradictions qui surgissent quand l’avènement du droit et les institutions de la vie politique mettent en cause, sur le plan religieux et moral, les anciennes valeurs traditionnelles. »
Naissance d’Oedipe.
De son côté, Jocaste, elle, souhaite un enfant. Et devant l’obstination de son mari à ne pas vouloir d’enfant ni à essayer de guérir de son impuissance, elle s’en va chercher conseil pour user d’un stratagème afin de pouvoir accueillir la semence de vie (hum, joliment dit, non ?).
Et un beau soir, après une dîner tout mignon, tout chou, elle se met à faire boire son royal époux plus que de raison. Seuls les dieux savent ce qu’il y avait dans le vin, mais ce qui est certain, c’est que Laïos en retrouve toute sa virilité et se fait proprement sauter dessus par sa femme.
Tu devines, la suite : neuf mois plus tard : ouin-ouin, un bébé arrive. Oedipe naît.
Oedipe pendu.
C’est alors que Laïos se souvient des propos de l’oracle et décide d’en parler à Jocaste.
Conciliabule.
L’enjeu est de taille : inceste et parricide ne sont pas des menaces à prendre à la légère.
Le couple décide de se débarrasser de l’enfant.
Laïos, roi de Thèbes, demande à un de ses bergers d’aller pendre le bébé au mont Cithérion.
Tiens, Cithérion : l’endroit où Penthée a été observer sa mère en train d’accomplir le rite dionysiaque.
Le berger s’acquitte de cette pénible tâche.
Ah ben pour un début de vie, c’est un fameux début de vie !
Et que se passe-t-il ensuite ?
Ben, vous cliquerez ici dans quelques semaines pour connaître la suite.
» L’abandon d’un nouveau-né (…) était un des choix que pouvaient légitimement faire des parents, au travers d’une pratique connue sous le nom d’apothesis, par laquelle le groupe familial se réservait de rejeter le nouveau venu. »